Tesla sauve les meubles

Tesla sauve les meubles

Au premier trimestre 2025, Tesla a frôlé la catastrophe. Le constructeur automobile, jadis icône de la mobilité électrique, n’a réussi à dégager un maigre profit que grâce à des expédients comptables et à l’intervention directe d’Elon Musk au sein de l’administration Trump. Derrière les trompettes d’un PDG omniprésent, les chiffres réels sont sans appel: production et livraisons en forte baisse, gamme vieillissante, guerre commerciale mondiale, et un dirigeant plus occupé à promouvoir ses lubies qu’à piloter l’entreprise.

Les revenus totaux de l'entreprise ont chuté de 9 % en glissement annuel, pour atteindre 19,3 milliards de dollars. Les ventes de véhicules, qui représentent 72 % du chiffre d’affaires, plongent de 20 % par rapport à l’an passé. À défaut d’un nouveau modèle capable de séduire, la croissance des batteries et panneaux solaires, quant à elle, s’envole de 67 %, et les services (dont les stations Supercharger désormais ouvertes à la concurrence) grappillent 15 % de revenu supplémentaire. Pourtant, ces performances vertueuses ne compensent pas l’hémorragie sur le segment automobile.

Pire encore, les coûts continuent de grimper, tandis que la rentabilité s’évapore. Le résultat d’exploitation s’effondre de deux tiers, pour s’établir à 399 millions de dollars, et la marge opérationnelle (qui culminait à près de 20 % il n’y a pas si longtemps) se résume aujourd’hui à un maigre 2,1 %. À ce rythme, et si cette tendance se poursuit pour un troisième trimestre consécutif, chaque voiture vendue deviendra un gouffre financier.

Mais, miracle comptable, Tesla reste rentable. Ironie du sort, c’est une manne réglementaire qui sauve momentanément les apparences avec les crédits d’émission. L’an dernier, la marque avait déjà profité d’une manne de 2,7 milliards de dollars (+54 % par rapport à 2023) en vendant à ses concurrents le droit de compenser leurs propres émissions. Ce trimestre, pas moins de 595 millions de dollars de crédits sont venus nourrir le bilan, permettant d’afficher un résultat net positif de 409 millions. Sans ces artifices, l’entreprise serait déjà dans le rouge.

Sur le ton rassurant qu’on lui connaît, Elon Musk a tenu à relativiser la situation lors de la conférence téléphonique avec les investisseurs:

« On a frôlé la faillite plusieurs fois, mais pas aujourd’hui. Pas même sur le fil du rasoir », a-t-il assuré.

Sauf que ce discours survient alors même qu’il consacre une part croissante de son temps et de son énergie à des missions gouvernementales américaines… Recruté comme « special government employee » par l’administration Trump, il sert de caution pour réduire ce qu’il appelle la « fraude » et le « gaspillage » au sein du gouvernement. Cette mission, confinée à 130 jours pour contourner tout contrôle parlementaire, arrive bientôt à son terme. Malgré tout, il n’entend pas lâcher prise et prévoit de consacrer 20 à 40 % de son activité professionnelle aux affaires publiques, tout en jonglant entre Tesla, SpaceX et son obscure DOGE.

Cette dispersion est sans doute l’une des raisons pour lesquelles la gamme Tesla reste à la traîne: pas de véritable nouveau modèle abordable, un Cybertruck dont la commercialisation se fait attendre, et des véhicules dont la sécurité soulève de sérieuses questions. Le milliardaire se vante pourtant de proposer la voiture la plus sûre au monde avec un faible taux d’accidents par mile parcouru. Or, selon les données de la sécurité routière américaine pour 2024, Tesla figure parmi les marques ayant le plus fort taux de mortalité aux États-Unis, loin des promesses d’un PDG grandiloquent. Quant à l’autonomie totale, son autre cheval de bataille, elle se résume aujourd’hui à un ersatz de pilote automatique vendu près de 9 000 dollars en Chine, désormais rebaptisé « Advanced Driver Assistance » pour se conformer aux nouvelles règles locales interdisant les termes « autonome » ou « intelligent » dans la publicité. Même là-bas, les conducteurs prennent des risques inconsidérés. Et les constructeurs chinois, à l’inverse de Tesla, offrent aujourd’hui gratuitement leurs systèmes d’aide à la conduite.

Malgré ces failles béantes, le marché a décidé de voir le verre à moitié plein: l’action Tesla grignote du terrain en préouverture, portée par l’espoir d’un modèle abordable à venir et du fameux Robotaxi. Pour le consommateur, l’investisseur et l’employé Tesla, ce portrait, par contre, est loin d’être rassurant. Entre le sauvetage artificiel par crédits, l’obsession politique de son PDG et une technologie qui peine à tenir ses promesses, l’entreprise s’enfonce dans ses contradictions. L’audace d’hier vire à l’arrogance, et les promesses futuristes semblent de plus en plus vaines. Si Elon Musk ne recentre pas immédiatement ses priorités sur Tesla (et sur l’amélioration concrète de ses véhicules) le mirage électrique pourrait bien se transformer en désillusion collective.

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