SoundCloud - Quand la plateforme trahit ses créateurs pour l’IA

Mise à jour du 10 Mai 2025
Marni Greenberg, responsable de la communication, précise que SoundCloud n'a jamais autorisé l'utilisation de contenus d'artistes pour l'entraînement d'IA et a mis en place des protections techniques, comme une balise "no AI". Les modifications visaient à clarifier l'interaction du contenu avec les technologies IA sur la plateforme, utilisées pour des recommandations personnalisées ou la détection de fraudes. Les conditions interdisent l'utilisation de contenus sous licence pour l'entraînement, mais permettent cette possibilité pour d'autres. SoundCloud promet des mécanismes de désinscription clairs et une transparence accrue si cela devait changer.
SoundCloud, autrefois sanctuaire des artistes indépendants, vient de franchir une ligne rouge. Sans tambour ni trompette, la plateforme a modifié ses conditions d’utilisation pour s’octroyer le droit d’exploiter les créations audio de ses utilisateurs afin d’entraîner des intelligences artificielles. Un changement sournois, passé presque inaperçu, qui révèle une vérité brutale: elle se moque éperdument des droits de ceux qui la font vivre. C’est Ed Newton-Rex, spécialiste de l’éthique technologique, qui a tiré la sonnette d’alarme. En fouillant dans les conditions d’utilisation, mises à jour le 7 février dernier, il a découvert une clause glaçante. Celle-ci stipule que tout contenu téléversé peut être utilisé pour “informer, entraîner, développer ou servir d’entrée à des technologies ou services d’IA”. En clair, chaque beat, chaque mélodie, chaque voix que vous partagez avec SoundCloud peut désormais être aspiré pour nourrir des algorithmes, sans que vous ayez votre mot à dire.
SoundCloud seems to claim the right to train on people's uploaded music in their terms. I think they have major questions to answer over this.
— Ed Newton-Rex (@ednewtonrex) May 9, 2025
I checked the wayback machine - it seems to have been added to their terms on 12th Feb 2024. I'm a SoundCloud user and I can't see any… pic.twitter.com/NIk7TP7K3C
SoundCloud semble revendiquer le droit de s'entraîner sur la musique téléchargée par les utilisateurs, selon ses propres conditions. Je pense qu'ils ont d'importantes questions à résoudre à ce sujet. J'ai vérifié sur Wayback Machine: il semble que cela ait été ajouté à leurs conditions d'utilisation le 12 février 2024. Je suis utilisateur de SoundCloud et je ne vois aucun e-mail de leur part m'en informant. Je n'aurais certainement pas accepté. Ma question à SoundCloud est la suivante: est-ce que cela inclut les modèles d'IA génératifs ? Si oui, je supprimerai ma musique et j'encourage les autres à faire de même. J'essaie de leur accorder le bénéfice du doute avant de le faire. J'espère qu'ils régleront ce problème au plus vite.
Pire encore, le service n’offre aucune option claire pour se désengager de cette pratique. Le site TechCrunch a cherché en vain un bouton ou un réglage permettant aux utilisateurs de refuser la pratique. La plateforme, contactée à ce sujet, n’a même pas daigné répondre. Ce silence est révélateur: SoundCloud sait que cette décision est indéfendable et préfère jouer la carte de l’opacité. Seule une petite précision dans les conditions d’utilisation limite l’ampleur de ce pillage. Les contenus soumis à des “accords séparés” avec des détenteurs de droits tiers, comme les labels indépendants ou les géants de l’industrie musicale (Universal Music, Warner Music Group), échappent à cette exploitation. Autrement dit, les grosses entreprises, avec leurs armées d’avocats et leurs contrats bien ficelés, sont protégées. Mais pour les artistes indépendants, ceux qui font battre le cœur de SoundCloud depuis ses débuts, eux sont livrés en pâture aux algorithmes, sans compensation ni reconnaissance.
Ce deux poids, deux mesures est une insulte. le service, qui s’est construit sur leur dos, leur tourne désormais le dos pour courir après la dernière mode technologique. Car ne nous y trompons pas, cette décision n’a rien à voir avec l’amélioration de l’expérience utilisateur. Elle s’inscrit dans une stratégie globale, où SoundCloud cherche à se positionner comme un acteur majeur dans l’écosystème de l’IA. L’an dernier, la plateforme a conclu des partenariats avec une douzaine de fournisseurs pour intégrer des outils alimentés par cette technologie: remix automatisés, génération de voix, création d’échantillons personnalisés etc. Dans un billet de blog publié à l’automne, elle s’est vantée de ces avancées, promettant des “pratiques éthiques et transparentes” qui respecteraient les droits des créateurs. Des mots creux, à l’évidence. Si l’éthique était vraiment au cœur de leur démarche, pourquoi imposer une politique d’entraînement IA sans consentement préalable ?

SoundCloud a également assuré que ses partenaires auraient accès à des solutions d’identification de contenu pour garantir que les détenteurs de droits soient “crédités et rémunérés”. Mais là encore, les détails manquent. Qui bénéficie réellement de ces arrangements ? Certainement pas les artistes indépendants, dont les œuvres sont exploitées sans qu’ils en tirent le moindre centime. Ces derniers mois, plusieurs plateformes ont modifié leurs politiques pour autoriser l’entraînement d’IA sur les données de leurs utilisateurs. En octobre, X a mis à jour sa politique de confidentialité pour permettre à des entreprises tierces d’entraîner leurs modèles sur les publications. En septembre, LinkedIn a suivi le mouvement, autorisant le scraping des données de ses membres. YouTube, de son côté, a commencé à faire de même sur les clips vidéo en décembre. À chaque fois, la même logique, l’utilisateur est réduit à une ressource à exploiter, sans égard pour son travail ou sa propriété intellectuelle.
Cette ruée vers l’IA soulève une question fondamentale: pourquoi les créateurs ne sont-ils pas au centre de ces décisions ? Les artistes, les musiciens, les vidéastes ne devraient-ils pas avoir le choix de participer ou non à ces initiatives ? Et s’ils y souhaitent le faire, ne méritent-ils pas une rémunération équitable pour leur contribution aux datasets qui font tourner ces IA ? La réponse semble évidente, mais les plateformes comme SoundCloud préfèrent ignorer ces principes au profit de leurs propres intérêts. Face à cette vague de politiques imposées, la grogne monte. Certains exigent que l’entraînement IA soit soumis à un consentement explicite (opt-in) plutôt qu’à un refus par défaut (opt-out). Ils demandent également à être crédités et payés pour l’utilisation de leurs œuvres dans les datasets d’entraînement. Ces revendications ne sont pas déraisonnables. Après tout, sans les contenus, ces services n’auraient rien à offrir, ni aux auditeurs, ni aux algorithmes.
Pour l’instant, SoundCloud fait la sourde oreille. Mais les créateurs ne resteront pas silencieux. Beaucoup envisagent de migrer vers des plateformes alternatives, qui respectent davantage leurs droits. Bandcamp, par exemple, reste une option prisée des artistes indépendants, avec une approche plus transparente et équitable. D’autres explorent des solutions décentralisées, où ils gardent le contrôle total de leurs œuvres. En agissant ainsi, SoundCloud prend un risque énorme. La plateforme doit son succès à sa communauté d’artistes, qui y ont vu un espace pour partager leur musique sans les contraintes des majors. En sacrifiant leur confiance sur l’autel de l’IA, elle pourrait se retrouver désertée par ceux qui en font la richesse. Il est encore temps pour elle de faire machine arrière. Une politique d’opt-in claire, assortie d’une compensation pour les artistes dont les œuvres sont utilisées, pourrait apaiser les tensions. Une chose est certaine, le vent de la révolte souffle, et SoundCloud pourrait bien en payer le prix.