Quand Trump fait un cadeau à Tesla - La grande mascarade de la sécurité routière américaine

Quand Trump fait un cadeau à Tesla - La grande mascarade de la sécurité routière américaine

En un éclair, le département américain des transports dirigé par l’administration Trump a décidé de conserver la règle instituée par l’ère Biden obligeant constructeurs automobiles et géants de la tech à signaler les accidents impliquant des véhicules entièrement ou partiellement autonomes mais en la modifiant. Une surprise ? Pas vraiment, surtout quand on sait pour quelle entreprise ce double-impératif a toujours tenu du cauchemar bureaucratique: Tesla, la fierté toute électrique d’Elon Musk.

Revenons en 2021. La National Highway Traffic Safety Administration (la sécurité routière américaine) sort son fameux « standing general order » (SGO) qui stipule que tout accident survenant avec un système de conduite automatisée, de l’Autopilot de Level 2 jusqu’à la conduite « totale », doit être documenté dans les 30 secondes précédant l’impact, puis remonté au gouvernement. Autant dire que des millions de véhicules sur la route, équipés de ces assistances à la conduite, sont passés au crible. L’objectif ? Obtenir de la transparence et permettre à l’opinion publique de savoir si ces voitures sont de véritables prouesses technologiques ou de simples modules à haut risque.

Par la suite, l’été dernier, le site Reuters dévoile que l’équipe de transition de l’administration Trump lorgne sur cette règle pour l’abroger. Motif officiel, favoriser l’innovation, motif officieux, faire plaisir à Tesla. Car, soyons clairs, sur les 1 500 accidents rapportés sous ce SGO, plus de 40 % des cas de collisions mortelles (soit 40 sinistres sur 45) concernent les véhicules de la marque automobile d'Elon Musk. Le genre de chiffres qui donne envie de rompre le silence et de rendre des comptes, pas de jeter la poussière sous le tapis. Pourtant, jeudi dernier, l’USDOT (le département américain des transports) nous fait une jolie pirouette, on garde le SGO, mais en l’allégeant. Fini les exigences redondantes et les lettres administratifs jugés inutiles. Sean Duffy, le grand manitou de l'USDOT, déclare triomphalement vouloir réduire la paperasse et établir une norme nationale unique qui stimulera l’innovation tout en priorisant la sécurité.

Concrètement, qu’est-ce qui change ? Sous l’ancien SGO, tout accident non mortel ou n’impliquant pas un piéton ou un cycliste devait être signalé dans les cinq jours. Désormais, le seuil remonte à la conduite de niveau 4 (bonjour Waymo), et les systèmes de niveau 2 (la spécialité maison de Tesla) seront dispensés de déclaration, sauf en cas de décès ou de « victime vulnérable ». Traduction: tous les petits accrochages, les virages ratés ou quand la bagnole heurte un poteau en pleine manœuvre passent à la trappe. Le jackpot pour Elon Musk, car cette modification profite énormément à Tesla, puisque l'Autopilot et le Full Self-Driving ne sont que des systèmes de niveau 2, pas de l’automatisation totale. En clair, Tesla pourra continuer d’accumuler les crashs mineurs sans que personne n’en sache jamais rien. Bye bye la transparence, bonjour le risque masqué.

L’ironie se savoure davantage quand on se souvient qu’en décembre dernier, Reuters toujours, avait cité des sources proches de Tesla, expliquant que l’entreprise exécrait cette obligation de rapporter chaque incident. Vous savez, celle qu’Elon Musk jugeait tellement excessive qu’il attendait un changement d’administration pour la faire disparaître. On songe à son soutien indéfectible à Donald Trump lors de la campagne, avec un investissement personnel estimé à 277 millions de dollars. Aujourd’hui, le milliardaire récolte les fruits de sa générosité: un DOGE taillé à mesure de ses désirs, où détruire l’aide humanitaire et terroriser les fonctionnaires fédéraux passe pour une routine matinale.

Résultat des courses, Tesla va bientôt se retrouver avec moins de bad buzz. Un moindre mal pour son image mais un désastre pour la sécurité des usagers et la confiance du public. Quelle entreprise pourrait encore comparer ses statistiques réelles avec celles de Tesla, quand la moitié des incidents passent à la moulinette de l’exemption ? Naturellement, les responsables de l'USDOT se félicitent de cette simplification: moins d’obligations, plus de souplesse pour les constructeurs, le tout en faisant mine de chérir la sécurité. Peter Simshauser, le chef du conseil juridique de la NHTSA, va même jusqu’à affirmer que ces mesures permettront aux fabricants de développer plus rapidement et de passer moins de temps sur des processus inutiles, tout en assurant la sécurité. De la belle langue de bois, version 2.0.

Au final, voilà un bien joli tour de passe-passe, on conserve l’apparence d’une réglementation stricte, on brade la transparence au profit des acteurs qui peuvent se le permettre, et on pousse la notion de « norme unique » jusque dans le grotesque. La grande ironie, c’est qu’on invoque la sécurité pour supprimer les rapports qui permettent précisément de l’évaluer. Mais après tout, depuis quand la cohérence est-elle la règle dans les arcanes du pouvoir ? Dans cette fable moderne, Donald Trump offre à son pote Elon Musk un joli cadeau pour cacher les dérapages routiers, Tesla se réjouit de pouvoir continuer sa course sans témoin, et le citoyen, lui, se retrouve avec une vision en demi-teinte de la réalité.

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