Quand l’empire Trump se transforme en repaire d’extraterrestres et de théories délirantes

Il y a fort à parier que vous ignoriez jusqu’à récemment l’existence de Truth+, le service de streaming estampillé Trump Media and Technology Group. Pourtant, derrière l’étiquette ronflante du mot “technologie” se cache un catalogue qui ferait passer les vidéos de chat pour du grand art. Il est temps de pointer du doigt la nature profondément absurde de cette plateforme censée concurrencer YouTube ou Netflix.

Truth+ se singularise par sa passion dévorante pour deux thématiques, la religion et la conspiration. À première vue, cela cadre avec la base MAGA, toujours prête à croire que le monde entier leur veut du mal. Mais il ne s’agit pas là des sempiternels discours sur un “vol” de l’élection présidentielle. Non, les producteurs de la plateforme font plus fort (ou plus grotesque), ils imaginent que Jésus, Bouddha et Krishna seraient en réalité des visiteurs d’une autre planète. Oui, vous avez bien lu, des gourous planétaires venus acclimater l’humanité à la croyance.
Le documentaire “Conspiracy Chronicles”, l’un des fleurons du service, enfonce le clou. Selon lui, non seulement nos figures spirituelles seraient d’origine extra-terrestre, mais la Lune serait un vaisseau creusé de fond en comble, prêt à servir de base secrète aux aliens bienveillants ou malveillants (le film se garde bien de préciser leurs intentions réelles). Bien sûr, le gouvernement américain serait complice de ce gigantesque mensonge interstellaire, dissimulant la vérité depuis des décennies. Une charge digne des plus grands complotistes et pourtant servie sur un plateau par le cercle proche de Donald Trump.
Mieux encore, Truth+ abrite un autre bijou cinématographique, “Lizard People: Rulers of Time and Space”. Ici, ce n’est plus la Lune mais une caste de lézards humanoïdes qui aurait façonné l’humanité pour mieux asservir ses croyances. On y retrouve la vieille thèse selon laquelle les religions organisées ne seraient que des instruments de pouvoir. Sauf qu’au lieu de pointer du doigt des gouvernants avares ou des barons de l’industrie, le film exalte l’idée d’une conspiration reptilienne. Un détournement éhonté de la critique sociale, transformant la réalité humaine en fable de science-fiction absurde.
Ce qui frappe, c’est l’habileté avec laquelle ces productions flirtent avec le vrai. Elles soulignent à juste titre que les religions ont souvent servi de leviers pour contrôler les foules, avant de basculer dans un délire en attribuant ces manipulations à des créatures venues d’ailleurs. Plutôt que d’affronter la réalité avec des hommes et des femmes en quête de pouvoir et d’influence, elles préfèrent broder un récit cosmique où les humains seraient de simples marionnettes aux mains de lézards et d’extraterrestres. Une gigantesque bouffonnerie qui dédouane au passage ceux qui tirent réellement les ficelles de la finance et de la politique.
On pourrait objecter que chaque plateforme de streaming possède son lot de navets et de trésors cryptiques, acquis au gré d’accords de diffusion. Et il ne fait guère de doute que très peu de personnes s’abonnent à Truth+ aux États-Unis. Sauf que “Lizard People” figure pourtant dans le Top 10 des contenus les plus visionnés sur la plateforme cette semaine. Il semblerait donc que certains spectateurs se délectent de ces élucubrations. À croire que le locataire de la Maison-Blanche a su, contre toute attente, fédérer un public prêt à tout gober, même le plus saugrenu.
Il est permis de rire (jaune) en constatant que Donald Trump avait vanté Truth+ comme un bastion de l'information familiale fiable. On imagine mal comment on peut expliquer aux plus jeunes que leurs aïeux seraient en fait d’anciens guerriers cosmiques. Sous des dehors high-tech, le service est avant tout un miroir déformant de la stratégie populiste du président américain: jouer sur la peur, la défiance envers les institutions et la soif de récits fantastiques. En s’érigeant en sauveur de la liberté d’expression, il offre une tribune aux plus extravagantes théories, détournant la parole religieuse pour en faire un gadget d’info-divertissement. Et tant pis si la vérité rationnelle se fait piétiner au passage.
Au final, cette plateforme ne vise pas tant à informer qu’à divertir (ou à endormir) un certain électorat par un enchaînement de vidéos qui flirtent avec le ridicule. Tout cela prouve, s’il en était besoin, que le spectacle trumpien ne connaît ni limites ni cohérence, seulement le profit politique et idéologique. À l’heure où les géants du streaming rivalisent d’algorithmes pour proposer des contenus de qualité, le Trump Media and Technology Group préfère miser sur la conspiration la plus fantasque. Une démarche qui illustre parfaitement le projet trumpiste, substituer au débat démocratique la fascination pour l’étrange, quitte à sacrifier l’intelligence et le sens critique.