Quand Donald Trump tire à boulets rouges sur Hollywood - L’absurdité d’un tarif à 100 % sur les films étrangers

Dans un nouveau délire protectionniste, Donald Trump s’en prend désormais à l'industrie déjà malmenée qu'est le cinéma. Après avoir fait trembler les secteurs agricole, automobile et technologique avec ses droits de douane tous azimuts, le président des États-Unis s’attaque au septième art en annonçant sur sa tribune favorite Truth Social, l’instauration d’un tarif de 100 % sur tout film étranger débarquant sur le sol américain. Un coup de théâtre aussi spectaculaire qu’infondé, qui en dit long sur la vision économique et culturelle déclinante de son administration.

Il ne cesse d'ailleurs de clamer que le cinéma américain est en train de mourir. Selon lui, les gouvernements étrangers offrent tout un tas d’incitations pour débaucher les producteurs et studios, laissant Hollywood exsangue. Pour dénoncer cette menace à la sécurité nationale, il veut des films « made in America, again ! », slogan racoleur qui mêle nostalgie passéiste et nationalisme culturel. Car derrière l’agressivité du propos se cache surtout une ignorance crasse de la réalité économique. Les studios américains tournent depuis longtemps à l’étranger non pas par plaisir, mais pour profiter de crédits d’impôt locaux destinés à relancer des filières déclinantes. Des pays comme le Royaume-Uni, le Canada ou l’Australie jouent des coudes pour attirer les tournages, mais c’est aussi le cas de plusieurs États américains (Californie, Géorgie, Illinois, entre autres) qui proposent leurs propres incitations fiscales pour retenir les producteurs sur le territoire. S’indigner de ces pratiques, c’est bien, mais tenter de les éradiquer par la menace d’un droit de douane délirant relève de l’idéologie plutôt que de la politique économique cohérente.
Le paradoxe est d’autant plus criant que l’administration Trump, depuis le début de son second mandat, n’a pas ménagé ses coups de boutoir tarifaires, sans jamais offrir de contrepartie incitative crédible. Résultat, la production cinématographique américaine a chuté de 40 % l’année dernière, conséquence directe des grèves simultanées des scénaristes et des acteurs en 2023, certes, mais aussi de l’instabilité réglementaire qui fait fuir investisseurs et studios vers des horizons plus prévisibles. L’annonce présidentielle soulève également des questions juridiques et pratiques insolubles. Comment imposer un droit de douane sur un film intangible, diffusé par des plateformes de streaming ? Faut-il surtaxer chaque visionnage de productions étrangères ? Et qu’en est-il des productions hybrides, tournées en partie en France mais montées à Los Angeles ? Trump, fidèle à sa méthode, préfère le flou et la menace. L’incertitude devient ainsi un levier de pression pour négocier, à coups de fanfaronnades médiatiques, des accords plus favorables.
Cette tactique du chantage tarifaire n’a pourtant jamais prouvé son efficacité. Quand Trump a frappé l’acier et l’aluminium de taxes exorbitantes, certains pays, à l’instar de la Chine, ont répondu en restreignant l’importation de films américains, réduisant le quota annuel de blockbusters à distribuer sur leur territoire. La guerre commerciale se double alors d’un affrontement culturel, où chaque camp brandit l’arme des écrans pour riposter. Les studios hollywoodiens, dépendants à la fois du marché domestique et des recettes internationales, se retrouvent pris en étau. Les marchés financiers ont déjà esquissé leur verdict: dès l’annonce, les actions de Netflix, Disney, Paramount et Warner Bros. ont plongé, témoignant de l’impact immédiat de l’incertitude politique. Les analystes soulignent que la mesure, si elle devait voir le jour, ne ménagerait aucun acteur du secteur, y compris les films majeurs propres à générer des milliards de dollars au box-office. Imaginez Marvel taxé à 100 % parce qu’une partie de sa post-production a eu lieu à Toronto. Un scénario kafkaïen qui ridiculise l’idée même d’une économie libre et ouverte.
Plus qu’une simple lubie, cette déclaration s’inscrit dans une logique de plus en plus autoritaire, où le pouvoir se sert de l’arme réglementaire pour satisfaire des revendications idéologiques, sans souci des retombées concrètes. Donald Trump, qui a déjà désigné Mel Gibson, Jon Voight et Sylvester Stallone comme ambassadeurs de la Maison-Blanche auprès de Hollywood, tente de forger une alliance trouble entre culture subventionnée et propagande étatique. Dans le même temps, il ordonne à la FCC (autorité du commerce américaine) de surveiller les quotas de diversité de Disney, brandissant le spectre d’une censure pour intimider les minorités créatives.

Face à ce rouleau compresseur, les professions du cinéma sont désemparées: faut-il redoubler de lobbying à Washington ? Se tourner vers l’Europe ? Miser sur des accords bilatéraux ? L’unique certitude est que la nature même du cinéma, fabrique émotionnelle et lien international, se trouve menacée par des considérations purement mercantiles et nationalistes. Pire encore, ce coup de semonce s’ajoute à une longue liste d’initiatives chaotiques (de la taxe sur les panneaux solaires à l’escalade tarifaire contre la Chine) qui pénalisent finalement l’innovation et la création.
À l’heure où la France célèbre ses 80 ans de la Libération, symbole universel de liberté, il est regrettable de voir les États-Unis, patrie d’Hollywood, s’enfoncer dans un protectionnisme passéiste. Le cinéma, art et industrie, mérite mieux qu’un président obsédé par les droits de douane. Derrière la posture virile et le slogan creux, c’est tout un pan de la créativité mondiale qui est mis en péril. Si l’administration Trump persiste dans cette voie, elle risque de transformer la vitrine culturelle américaine en un musée figé, coupé du monde, incapable de rêver collectivement.
En fin de compte, ce projet de tarif à 100 % n’est pas seulement absurde, il est aussi tragique. Tragique pour les milliers de techniciens et d’artistes dont les emplois dépendent de coproductions internationales. Tragique pour le public, privé de la diversité et de la richesse du cinéma mondial. Tragique enfin pour l’Amérique elle-même, dont le soft power est l’un des rares atouts face à la montée en puissance de concurrents géopolitiques. À force de jouer avec les frontières et les barrières, l’administration Trump risque de s’aliéner ses meilleurs alliés, les créateurs et le public du monde entier.