Pourquoi investir 2 milliards dans une boîte sans produit ? Le cas Mira Murati

Pourquoi investir 2 milliards dans une boîte sans produit ? Le cas Mira Murati

Cette semaine, le journaliste du site américain Business Insider, Ben Bergman, a lâché une bombe: Mira Murati, ex-directrice de la recherche chez OpenAI, a levé près de 2 milliards de dollars pour son nouveau bébé, Thinking Machines Lab. Une boîte créée il y a quelques mois à peine, comptant une poignée d’employés et… zéro produit sur le marché. Alors pourquoi diable des investisseurs posent-ils un chèque aussi colossal et valorisent cette start‑up à près de 10 milliards ? Deux raisons, radicales et totalement liées à l’univers impitoyable du capital‑risque à l’ère de l’intelligence artificielle générative et des géants du Big Tech.

D’abord, le fameux « Power Law ». C’est la théorie selon laquelle un fonds de capital-risque peut se permettre de miser gros sur une seule pépite au potentiel colossal. Imaginons que Thinking Machines Lab devienne le prochain OpenAI (récemment valorisé à 300 milliards de dollars) ou atteigne la taille d’un Google (près de 2 000 milliards). Votre mise initiale sur Mira Murati pourrait se transformer en 100 milliards, voire 1 000 milliards. Résultat: même si les autres investissements du fonds échouent, une seule réussite spectaculaire peut rapporter 10 fois, 100 fois ou plus la mise de départ et assurer des rendements historiques pour toute la décennie à venir.

Deuxième explication, même si l'entreprise Thinking Machines Lab cale côté revenus ou produit, elle a d’autres atouts: un vivier de brevets prometteurs, une équipe tech de génies (nombreux anciens d’OpenAI), et un réseau d’influence sans égal. Dans ce cas de figure, un géant de la tech intervient pour racheter la boîte, souvent via une acqui‑hire, pour s’approprier talents et technologies. On l’a déjà vu par le passé, Google a déboursé 2,5 milliards l’an dernier pour Character.AI, un deal mêlant licence technologique et recrutement des cofondateurs plus 20 % de l’équipe. Microsoft a remis le couvert avec Inflection (dirigé par Mustafa Suleyman, cofondateur de DeepMind), Amazon a fait de même avec Adept… Ces transactions ne rapportent pas 10 fois la mise, mais permettent tout de même de doubler ou tripler l’investissement, tout en limitant la casse. Dans le cas de Character.AI, les capitaux à risque ont ainsi tiré environ 2,5 fois leur mise de départ.

En finance, on appelle ça un « put », un contrat qui donne le droit de vendre un actif à un prix fixé, avant une date butoir. Par extension, il symbolise le filet de sécurité. Si le marché dévisse, quelqu’un viendra renflouer la mise. Il existe déjà un « Fed put », cette conviction que la réserve fédérale américaine sauvera les marchés en cas de crise, et même un « Trump put », cette idée que Donald Trump interviendra pour soutenir les cours.

Alors pourquoi pas un « Big Tech put » pour les capitaux à risque ? Si leur pari initial se transforme en fiasco, les poids lourds du numérique viendront éponger la dette, racheter les brevets et, surtout, rafler les cerveaux. Une assurance tous risques, savamment orchestrée à coups de chèques à 9 zéros. Au final, quand on parle de lever 2 milliards sur une boîte sans produit, ce n’est ni de la folie ni de l’irresponsabilité, c’est jouer avec les règles implacables du capital‑risque et s’assurer, coûte que coûte, qu’un coup de fil de Sundar Pichai ou Satya Nadella puisse, au pire, limiter les dégâts. Voilà pourquoi, dans la jungle de la tech, on mise parfois gros, très gros… quitte à tout rafler ou à tout laisser tomber, l’arme à double tranchant toujours prête.

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