Meta mis à nu - 10 heures de manœuvres pour écraser la concurrence

Meta mis à nu - 10 heures de manœuvres pour écraser la concurrence

Depuis lundi, un tribunal de Washington ouvre les portes d’un procès historique: la commission fédérale américaine du commerce (FTC) accuse Meta, le géant des réseaux sociaux, d’avoir verrouillé illégalement son monopole grâce aux rachats d’Instagram et de WhatsApp. La pièce maîtresse de ce procès d’antitrust n’est autre que Mark Zuckerberg lui-même, qui a passé plus de dix heures à répondre aux questions (sinon aux piques) des avocats de l’État. Si la FTC parvient à ses fins, Meta devra se séparer de ses trophées acquis il y a plus de dix ans.

Très vite, les révélations ont fusé, dévoilant un Zuckerberg prêt à tout pour garder le contrôle absolu sur le marché des réseaux sociaux. Il a d’abord été question des craintes internes: dès 2018, alors que les appels au démantèlement des géants de la tech commençaient à se faire entendre, le PDG envisageait déjà de séparer Instagram et WhatsApp du giron de Facebook. Dans un courriel révélé par la FTC, il écrivait envisager « l’étape extrême » d’émanciper Instagram en tant qu’entité indépendante, tout en estimant qu’il y avait « une chance non négligeable » de devoir le faire de toute façon dans les cinq à dix ans qui suivraient. Cette boutade préventive en dit long sur la conscience qu’il avait, dès cette époque, du caractère litigieux de ses acquisitions.

Mais lorsqu’on lui a demandé, sur le banc des accusés, ce qu’il entendait exactement par là, Zuckerberg a éludé:

« Je ne suis pas sûr de savoir précisément ce que j’avais en tête. »

Magnifique retournement, le grand stratège se mure dans l’amnésie dès qu’il s’agit d’expliquer ses propres projets de restructuration. Derrière cette façade désinvolte, on devine surtout la peur panique de voir le pouvoir de Meta s’émietter sous les coups de boutoir de la régulation. L’audace de l'intéressé ne connaît pourtant pas de limites. En 2022, alors que Facebook commençait à sentir le poids des années et la poussée de concurrents plus innovants, il a proposé dans un autre courriel de supprimer purement et simplement tous les amis de chaque utilisateur pour repartir à zéro. Face à cette proposition radicale, Tom Alison, responsable de Facebook, hésita: comment risquer de saborder la valeur même du réseau social, fondé à l’origine sur la connexion entre amis ? La réponse de Zuckerberg: on ne sait pas, peut‑être que le coup de balai relancera l’engagement. Drôle de pari pour un empire prônant la stabilité et la confiance.

Le procès n’a pas seulement dévoilé des stratégies agressives, mais aussi des anecdotes croustillantes sur les coulisses de la direction. En 2012, alors que Meta s’apprête à débourser un milliard de dollars pour Instagram, Sheryl Sandberg confie son envie de jouer à Settlers of Catan. Zuckerberg, tout sourire, propose de lui apprendre les règles. Dans ce même échange, il admet que les performances de Facebook étaient loin d’être « en train de tout écraser ».

« Instagram croissait tellement plus vite que nous qu’il fallait dépenser 1 milliard de dollars pour l’acquérir. Ce n’est pas vraiment un exploit »,

écrit‑il avec un mélange de fierté et de regret. Ironique, quand on sait qu’il a mis un peu plus de 19 milliards sur WhatsApp deux ans plus tard pour ne pas laisser filer un autre rival.

Car Meta ne se contente pas de racheter, il pressent et détruit ses adversaires potentiels. L’un des courriels les plus embarrassants dévoilés au tribunal révèle une offre de rachat de Snapchat à hauteur de 6 milliards de dollars en 2013. Mark Zuckerberg se lamente déjà des fuites à prévoir et de l’image renvoyée si on apprenait qu’il avait tenté de mettre la main sur la plateforme. Refus catégorique de l’autre côté. Au lieu de ça, Snapchat a trouvé d’autres investisseurs, tandis que Facebook a continué son ascension sans partage.

Il ne s’agissait pourtant pas seulement de neutraliser les petits nouveaux. Meta doit aujourd’hui composer avec TikTok, jugé plus menaçant que jamais.

« TikTok est toujours plus grand que Facebook ou Instagram »,

a admis Zuckerberg, furieux de voir un concurrent croître plus vite que son propre empire. Il promet de ne pas dormir tant que Meta ne sera pas « beaucoup plus performant » qu’actuellement. Derrière cette posture combative, on devine la nervosité d’un PDG qui, pour la première fois depuis longtemps, redoute un vrai rival.

Le fondateur de Facebook a également montré un visage impatient et cassant à l’égard de ses propres équipes. En 2011, alors que l'une d'elles en charge de la photo planche sur Facebook Camera, il s’agace: « Que se passe‑t‑il avec notre équipe photo ? » Plusieurs collaborateurs sont qualifiés d’« éteints » ou de « médiocres ». Quelques semaines plus tard, il propose, dans une liste de projets à réduire, de purger son application photo maison (au moment même où Instagram entre dans le giron de Meta). L’élève (Instagram) est déjà meilleur que le maître (Facebook Camera), et Zuckerberg préfère mettre en sourdine ses propres développeurs plutôt que de reconnaître leur échec.

Quant à la mission première de Facebook, elle est désormais reléguée au second plan. Sous serment, Mark Zuckerberg a admis que la dimension « amis » avait perdu de son importance, laissant place à un « espace de découverte et de divertissement ». Fini l’esprit communautaire ; l’algorithme tient lieu de meilleur ami. La magie initiale du réseau social s’est évaporée dans un flux infini de contenus sponsorisés, de recommandations et de vidéos virales.

Enfin, le ton condescendant du PDG à l’égard des cofondateurs de WhatsApp, Jan Koum et Brian Acton, en dit long sur son état d’esprit. Après une réunion en 2012, il qualifie Koum d’« impressionnant mais décevant ou peut‑être tant mieux pour nous, parce qu’il manque d’ambition ». De fait, il achètera WhatsApp pour 19 milliards l’année suivante, alors même que ses créateurs refusaient de transformer leur messagerie en usine à publicité. Une vision antagoniste où Zuckerberg préfère casser l’indépendance des talents plutôt que de les laisser tracer leur propre voie.

Ce procès, qui s’annonce long et âpre, révèle un patron prêt à tout pour préserver son empire, sans la moindre retenue éthique ou humaine. Derrière le sourire impassible du milliardaire se cache une mécanique implacable, fondée sur la peur de la concurrence, la manipulation des équipes et l’achat systématique de toute innovation qui pourrait menacer la domination de Meta. À moins que la justice américaine n’impose un grand coup de balai, ce bras de fer risque de consacrer un modèle d’entreprise où l’argent et le pouvoir l’emportent toujours sur l’intérêt public et l’innovation authentique.

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