Meta entend bien régner sans partage sur l’industrie publicitaire

Depuis des années, les dirigeants des grandes entreprises tech annoncent à grand renfort de communiqués de presse que l’intelligence artificielle va révolutionner la manière dont les marques atteignent leurs clients. Chez Meta, ce n’est pas une promesse en l'air. Mark Zuckerberg se veut stratège impitoyable, déterminé à automatiser l’intégralité du processus publicitaire, du ciblage des audiences à la création des visuels, avec un seul objectif, vider nos fils d’actualité de tout ce qui n’est pas rentable.
Lors de la conférence Sessions de Stripe à San Francisco, le patron de Meta a ôté le masque. Il rêve d’un outil opaque et tout-en-un, capable de générer des milliers de variantes de publicités, de les diffuser partout sur Facebook, Instagram et Threads, et surtout, de maximiser les résultats financiers de ses annonceurs. Les entreprises n’auraient plus qu’à fixer un objectif, attirer de nouveaux clients, vendre leurs produits, indiquer leur budget, connecter leur compte en banque à Meta, puis laisser la plateforme tout orchestrer. Le tout sans jamais expliquer aux utilisateurs pourquoi ils voient telle ou telle pub, ni offrir la moindre transparence sur les critères de sélection.

Mark Zuckerberg présente cette “machine à résultats” comme l’aboutissement logique de la data obsessionnellement collectée par sa société. L’algorithme, selon lui, sait mieux que n’importe quel expert en marketing humain quels profils sont les plus susceptibles de cliquer, d’aimer ou d’acheter. Dorénavant, il s’agirait d’étendre ce pouvoir aux contenus créatifs. Imaginez des milliers de visuels différents pour un même message, testés en temps réel pour ne retenir que ceux qui génèrent le plus de conversions. Pourquoi faire appel à des agences de pub ou à des créatifs quand un bot peut optimiser chaque pixel pour vous ?
Le revers de la médaille, bien sûr, c’est l’expérience utilisateur. Nous sommes déjà abreuvés de contenus racoleurs, d’images générées par IA et de chatbots impersonnels au détour de chaque scroll. En introduisant des publicités conçues de toutes pièces par des machines, Meta s’apprête à gaver ses plateformes de générateurs de clics encore plus intrusifs. Au nom de l’efficacité, les fils d’actualité deviennent des autoroutes publicitaires, où la moindre publication personnelle passe après le craquement incessant du business model de l’entreprise. Pour le dire autrement, sur Facebook, Instagram et désormais Threads, vous ne serez plus que le produit vendu à de riches annonceurs. Meta, en se présentant comme l’allié ultime des petites entreprises (pas besoin de créer vos visuels, on s’en charge), fait fi de l’aliénation qu’elle impose. Les milliards de profils compilés dans ses bases de données ne servent plus qu’à confectionner des offres calibrées au millimètre, exploitant nos moindres centres d’intérêt, nos habitudes de consommation et même nos fragilités.
Ce modèle n’est pourtant pas sans soulever de vives réactions. En octobre 2024, plus de 11 000 artistes et créateurs ont signé une lettre ouverte pour dénoncer l’utilisation de leurs œuvres dans l’entraînement des IA publicitaires et artistiques, sans contrepartie ni consentement. Plusieurs procès ont été engagés contre des sociétés comme Midjourney ou Stability AI, accusées de voler le travail des créatifs pour alimenter leurs algorithmes. Alors, pourquoi Meta serait-elle épargnée ? Certains responsables de la publicité défendent encore l’IA comme un allié, capable de démultiplier la créativité plutôt que de la remplacer. Mais cette posture ressemble de plus en plus à un sursaut de résistance face à une lame de fond technologique qui broie tout sur son passage.
Parce qu’aujourd’hui, Meta ne se contente plus de proposer des outils d’optimisation. L’entreprise imagine façonner chaque pixel pour maximiser le profit. Les créatifs réduits à fournir quelques indications, les agences reléguées au rôle d’accessoiristes, les cibles analysées en continu et les utilisateurs pris en otage par des flux de publicités hyper-personnalisées, voilà le futur radieux que dessine Mark Zuckerberg. Ce projet, aussi tentaculaire soit-il, porte en germe une uniformisation des messages, une déshumanisation des contenus et une opacité totale. Car une machine à clics n’a pas de vision artistique, pas de sens critique ni de respect pour l’audience. Elle ne cherche qu’à saturer le consommateur jusqu’à l’assoupir, à tester sans cesse de nouvelles combinaisons graphiques et verbales, sans jamais se soucier des conséquences sociales ou psychologiques.

La question reste ouverte: l’industrie publicitaire et les autorités de régulation sauront-elles freiner cette course effrénée à l’automatisation ? La bataille pour la transparence et la protection des données personnelles est loin d’être gagnée. Et tandis que Meta avance ses pions, le public, lui, risque de se retrouver enseveli sous un déluge de publicités conçues par des algorithmes, sans jamais comprendre pourquoi ni comment. L’ambition du PDG de Meta de transformer sa société en machine à résultats est un manifeste contre toute idée d’authenticité. Le modèle « inscris-toi, connecte ta CB et regarde tes ventes décoller » masque mal un projet de traque permanente des comportements et de sacrifice de nos fils d’actualité au culte de la performance. Sous couvert d’innovation, c’est une nouvelle ère de saturation publicitaire et de déshumanisation de la communication qui s’annonce. Et Meta, fidèle à son credo, entend bien écraser tout ce qui dépasse d’innovation ou de sens dans ce gigantesque engrenage.