Le naufrage du DOGE - Quand Elon Musk rate sa mission gouvernementale

Dès son arrivée tonitruante à la tête du Département de l’Efficacité Gouvernementale (DOGE), Elon Musk n’a pas lésiné sur la mise en scène. Entre promesses mirobolantes de coupes budgétaires et grands coups de communication, son passage s’est rapidement transformé en une succession de chiffres révisés à la baisse et de mesures jamais appliquées. À l’approche de son échéance fatidique des 130 jours en tant qu’agent public, le constat est amer. Le milliardaire s’apprête à partir en silence, laissant derrière lui un bilan aussi creux que ses annonces spectaculaires.
Dès le début de l’opération, ses grands bambins et lui ont cru bon d’envoyer un mail choc à tous les fonctionnaires fédéraux américains, sobrement titré « Qu’avez-vous accompli la semaine dernière ? ». Objectif affiché: exiger cinq réalisations hebdomadaires sous peine de licenciement. Sauf que, selon le Washington Post, la menace n’a jamais existé. Non seulement la fonction publique des États-Unis a aussitôt précisé que cette initiative était strictement volontaire, mais aucune conséquence n’a été prévue en cas de silence des destinataires. Un joli coup de bluff qui a vite dévoilé une absence totale de substance.
Rapidement, la plupart des agences ont cessé de tenir compte de ces mails. Certains services, sans grande conviction, continuent à y répondre, tandis que d’autres ont purement et simplement abandonné la pratique, sans jamais mesurer le taux de réponse ni sanctionner les défaillances. Bilan: un dispositif fantôme, englouti dans l’indifférence générale, sans la moindre conséquence tangible pour quiconque. Les promesses grandiloquentes s’évaporent, laissant un goût d’inachevé et de poudre aux yeux.

Le fiasco de cette mesure est emblématique de la méthode « move fast and break things » chère à la Silicon Valley, mais parfaitement contre-productive dans le monde feutré de l’administration publique. En l’absence de toute véritable direction, le DOGE a accumulé les recours juridiques et les critiques, à force d’amendements douteux et de procédures bâclées. Au lieu d’optimiser le fonctionnement de l’État, Elon Musk s’est embarqué dans un tourbillon d’interminables querelles légales, creusant davantage le fossé entre sa communication tonitruante et la réalité des faits. Quant aux promesses financières, elles ont subi un rétropédalage consternant. Le milliardaire a d’abord évoqué 2 000 milliards de dollars d’économies, avant de réduire son chiffrage à 1 000 milliards, puis à 150 milliards. Pourtant, même ces 150 milliards sont restés lettre morte face à la rigidité du budget fédéral, sans pour autant infléchir de manière significative le déficit. Un classique du Muskisme: en permanence en train de sur-promettre, pour mieux sous-fournir.
Ce bilan calamiteux aurait dû suffire à le faire renoncer, mais c’était sans compter sur son goût du spectacle. Aujourd’hui, proches et collaborateurs rapportent qu'il est exaspéré par les attaques incessantes liées à son rôle au sein du DOGE. Il souhaiterait tourner la page gouvernementale, regrettant peut-être d’avoir mis les pieds dans un univers réglementaire trop étriqué pour sa soif de contrôle total. Parallèlement, il tisse déjà sa toile pour se distancier des récentes mesures tarifaires promues par l’administration Trump, multipliant les attaques contre leurs architectes. La date de son départ pourrait ainsi marquer la revanche du pragmatisme sur l’égocentrisme. S’il se désengage réellement du DOGE (rien n’est moins sûr, cette administration n’étant pas réputée pour respecter ses propres lois), il replongera aussitôt dans un autre maelström. Tesla, sa marque automobile, déjà fragilisée par des scandales à répétition, attend son prochain coup de théâtre avec appréhension.
La Bourse n’est pas dupe. À la veille de la publication des résultats trimestriels, le cours de l’action Tesla affiche des signes de nervosité, conséquence des dérives comportementales de son fondateur. Bloomberg rapporte que même les investisseurs les plus optimistes émettent des réserves. Et comme si cela ne suffisait pas, les projets pharaoniques dont la marque se gausse depuis des années (réseau de robotaxis autonome, humanoïde capable de travaux ménagers) demeurent à l’état de concepts plus ou moins utopiques. Chaque nouvelle échéance est repoussée, chaque prototype tarde à franchir le stade de la démonstration, et la lassitude gagne peu à peu les actionnaires et le grand public. Demain mardi, lors de l’appel aux résultats, tout se jouera: Musk pourra-t-il convaincre que ses promesses lointaines méritent encore la confiance ?

Au final, l’odyssée du DOGE restera dans les annales comme un exemple édifiant du syndrome Elon Musk: une communication guerrière, des promesses stratosphériques et un résultat… inexistant. Dans la Silicon Valley, on applaudit les fantasmes technologiques et l’éclat des levées de fonds, mais dans les couloirs de l’administration fédérale, on mesure l’urgence de la rigueur et de l’expertise. En tirant sa révérence, le milliardaire lègue à la bureaucratie un vestige de chaos et d’illusions, et à lui-même une énième tache sur un CV pourtant bardé de succès. Reste à savoir si, débarrassé de son poste actuel, il parviendra enfin à redonner un semblant de crédibilité à ses autres aventures.