Google démoli par la justice - L’empire publicitaire dans la tourmente

Vous allez finir par croire que j'ai une dent contre Google aujourd'hui (ce n'est pas forcément le cas et qui aime bien châtie bien). Et même si le mastodonte de Mountain View pense sans doute être intouchable, hier pourtant, le rideau est tombé. Une juge fédérale américaine a conclu qu'il avait enfreint la loi pour asseoir son monopole dans la technologie publicitaire en ligne. Cette décision, lourde de conséquences, pourrait bien ébranler la forteresse à 1 860 milliards de dollars et redistribuer les cartes du pouvoir sur Internet. Leonie Brinkema, de la cour de district de Virginie orientale, n’y est pas allée de main morte. Dans un rapport détaillé de 115 pages, elle dénonce avec précision comment Google a saboté la concurrence pour imposer ses outils destinés aux éditeurs de contenus. Derrière ces termes techniques se cache un système d’enchères en millisecondes, qui place les publicités sur les sites que vous visitez. Un système que le géant américain a conçu et verrouillé à son profit, au détriment de tous les autres acteurs du web, mais surtout des consommateurs et des médias en ligne.
Le gouvernement n’a pas fait dans la dentelle, dès l’introduction de son procès, il a pointé du doigt trois segments clés de l’écosystème publicitaire contrôlés par Google (les outils pour les éditeurs, ceux destinés aux annonceurs, et la plateforme centralisant les transactions). Pour deux de ces segments, la juge a donné raison aux plaignants: l'entreprise a illégalement construit et maintenu son monopole sur les outils éditeurs et sur le logiciel de gestion des transactions. Seule la partie outils acheteurs a échappé à la sanction, faute de preuves suffisantes d’un marché clairement défini.
Le cœur du problème ? Google a imposé ses services aux éditeurs, leur interdisant de recourir sereinement à des alternatives. Il n’a pas hésité à modifier ses conditions d’utilisation pour contraindre les médias (y compris les plus grands groupes) à céder une part croissante de leurs revenus publicitaires au bénéfice exclusif d’Alphabet. Résultat, l’entreprise a pu gonfler ses marges, facturant des tarifs toujours plus élevés, tout en dévorant près de 87 % du marché de la technologie publicitaire, selon les chiffres officiels présentés pendant le procès. En outre, la juge Brinkema souligne que cette stratégie n’a pas seulement pénalisé les concurrents. Elle a infligé de sérieux préjudices aux éditeurs de contenus et, in fine, aux internautes, privés d’une offre publicitaire diversifiée et d’une presse en ligne économiquement viable. Derrière l’argument de la simplicité et de l’efficacité de ses outils, Google dissimulait une mécanique de domination: verrouillage des clients, transactions opaques et barrières à l’entrée pour les nouveaux venus. Bref, un cocktail toxique pour le pluralisme de l’information.
Ce revers judiciaire s’ajoute à une autre claque subie en août dernier, lorsqu’un autre juge fédéral avait déjà reconnu le monopole de Google dans la recherche en ligne et s’apprêtait à étudier une éventuelle scission de l’entreprise. Le département de la justice américain (le DOJ), déterminé, a d’ores et déjà demandé la cession de pans entiers de l’activité publicitaire rachetés au fil des ans, à commencer par DoubleClick, acquis en 2008 pour 3,1 milliards de dollars. Un démantèlement partiel semble désormais inévitable, tant les juges multiplient les signes de leur exaspération face à la toute-puissance du géant californien.
Du côté de Google, on persiste et signe. Lee-Anne Mulholland, vice-présidente des affaires réglementaires, a annoncé vouloir faire appel et martelé que l'entreprise propose des solutions « simples, abordables et efficaces ». Des mots creux lorsque l’on mesure la mécanique d’étranglement imposée aux éditeurs depuis des années. La procureure générale Pam Bondi, elle, n’hésite pas à qualifier cette victoire de « jalon historique » dans la lutte contre l’hégémonie numérique. Et elle promet de ne rien lâcher:
« Nous continuerons à prendre des mesures audacieuses pour protéger les Américains de ces empiétements sur la libre concurrence . »
Au-delà du cas Google, ces procès sont le cadre d'une plus vaste dynamique: Apple est attaqué pour avoir bâti un écosystème fermé, Amazon pour avoir étranglé les petits commerçants et Meta pour avoir piétiné la concurrence avec Instagram et WhatsApp. Partout, les régulateurs crient halte à l’hyperconcentration. Reste à voir si, concrètement, ces batailles judiciaires réussiront à désamorcer le pouvoir des titans technologiques. Quoi qu’il en soit, Google ne pourra plus prétendre à l’impunité. Son modèle publicitaire, jusque-là indéracinable, vacille enfin sous les coups de boutoir de la justice.