Chocs tarifaires et éco-carnage - La dérive de Temu et Shein

Chocs tarifaires et éco-carnage - La dérive de Temu et Shein

L’administration Trump (et oui encore elle) a asséné un coup de massue au commerce transpacifique en supprimant l’exonération douanière de biens à moins de 800 $ et en imposant un tarif dissuasif de 145 % sur les marchandises chinoises. Résultat, des plateformes comme Temu répercutent ces frais démesurés sur le consommateur américain en ajoutant des charges à l’import qui excèdent souvent le prix de vente originel et doublent, voire triplent, la facture finale. Prenez l’exemple d’une robe affichée à 18 $ sur Temu, après 26 $ de surtaxes, son prix atteint 44 $, soit une flambée à 242 % du tarif initial. Shein, de son côté, a également revu ses tarifs à la hausse, +51 % pour la beauté et la santé, +30 % pour la maison et la cuisine et +8 % pour l’habillement (sans toutefois formaliser la démarche vis à vis des taxes).

Dans un contexte où la guerre commerciale vire à l’arbitraire, ces hausses éclairent la fragilité d’un modèle économique bâti sur l’ultra-low-cost. Ni Temu ni Shein n’ont daigné commenter publiquement ces ajustements vertigineux. Pourtant, l’ombre de l’impact social et environnemental plane sur chaque colis bon marché: produits de piètre qualité, cycle de vie raccourci, gaspillage industriel et exploitation des ressources. Au-delà du simple réajustement des prix, c’est tout un écosystème de production qui vacille. Les petites entreprises et les créateurs, déjà asphyxiés, subissent aussi les 145 % de surtaxation, Kickstarter a dû déployer un « Tariff Manager » pour permettre aux porteurs de projet d’ajouter des frais de douane à leurs contributeurs, sous peine de devoir renégocier ou rembourser certaines promesses de dons.

Mais le vrai scandale ne se limite pas aux arcanes de la finance et des douanes. Temu et Shein ont bâti leur succès sur l’obsolescence programmée et les prix cassés, exploitant un appétit consumériste sans limites. Chaque t-shirt, chaque lampe ou bibelot à des tarifs ridiculement bas participe à l’engorgement des décharges et à l’épuisement de matières premières précieuses. À l’heure où le réchauffement climatique exige une transition vers une économie circulaire, ces mastodontes du e-commerce donnent une image caricaturale de la prospérité digitale: gadgets jetables et pollutions liées au transport express dont la seule ambition reste la rentabilité immédiate.

Si l’on reproche au gouvernement américain son imprévisibilité tarifaire (facteur d’instabilité pour les entreprises), on ne peut passer sous silence la responsabilité première de ces deux entreprises chinoises. Elles ont volontairement orienté leurs chaînes logistiques vers une dérégulation quasi-totale, où la course au prix plancher s’affranchit de toute considération sociale et environnementale. In fine, les consommateurs américains paient doublement: d’abord en subissant des taxes exorbitantes, ensuite en finançant une industrie du jetable qui creuse la dette écologique de la planète. La responsabilité est partagée, certes, mais l’urgence est là, réformer le système tarifaire pour le rendre plus stable et transparent, mais aussi contraindre les géants du fast-fashion à internaliser le coût environnemental de leurs produits.

Il est temps d’exiger des mesures contraignantes: traçabilité des matières, normes minimales de durabilité, et taxation verte proportionnelle aux impacts réels. Faute de quoi, la promesse d’un commerce en ligne accessible ne restera qu’un leurre à bas prix, payé au prix fort par notre avenir commun. Au-delà des chiffres et des pourcentages, c’est l’éthique de la consommation qui se joue aujourd’hui. Les hausses tarifaires, aussi injustes soient-elles, pourraient devenir l’opportunité de repenser nos modes d’achat et de production. À condition que l’on cesse de considérer Temu et Shein comme de simples fournisseurs de bonnes affaires, et que l’on regarde enfin la facture écologique qu’ils font peser sur nos sociétés.

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