Album de la semaine - Beirut - A Study of Losses

Album de la semaine - Beirut - A Study of Losses

Beirut et son créateur, Zach Condon, vous donne rendez-vous sous le chapiteau de la troupe suédoise Kompani Giraff. L’artiste livre pour l'occasion 18 compositions pour A Study of Losses, un nouvel album écrit comme bande‑son du spectacle acrobatique éponyme. Au départ, l’idée d’écrire de la musique pour du cirque n’enchantait guère le chanteur. En évoquant ses traumatismes de l’ère Elephant Gun, il avoue avoir craint de replonger dans le rôle de saltimbanque qu’on lui collait dès ses débuts. Mais la beauté des vidéos de la Kompani Giraff, conjuguée à la lecture de Verzeichnis einiger Verluste, le roman de Judith Schalansky sur la perte et l’impermanence, l’ont convaincu. Fasciné par ce projet qui posait la question du manque et de l’évanescence, il s’est lancé dans l’écriture de 11 chansons et de 7 thèmes instrumentaux.

Cet environnement de création peu orthodoxe semble avoir déclenché quelque chose en lui. Un tiers de l’album renoue avec les sonorités balkaniques du Gulag Orkestar, le premier grand succès de Beirut. L’inoubliable émoi de Villa Sacchetti, ses cuivres triomphants, ses rythmes valsants et ses cordes pincées, rappelle instantanément les premières heures du projet. De la même façon, The Moonwalker déploie voix de chœurs groupés, accordéon et ukulélé, renouant avec la chaleureuse mélancolie qui a fait la renommée du groupe.

Pour le reste, Zach explore des contrées synthétiques, jusque‑là inexplorées sous sa plume. On y perçoit l’influence de Tangerine Dream et du krautrock électronique: Ghost Train se déploie sur un tapis de pulsations digitales, évoquant autant les percussions arpeggiées des pionniers allemands que les expérimentations récentes de Barker. Quant à Guericke’s Unicorn, le titre évoque un tube de synth‑pop des années 80 ébloui par un soleil trop présent, sur lequel les lignes électroniques dorées se déroulent comme des spirales chaleureuses. Certes, Zack avait déjà flirté avec les nappes synthétiques sur Gallipoli en 2019, mais jamais elles n’avaient pris un tel relief.

Le charme de Beirut tient à cette voix de baryton si reconnaissable et à ces mélodies glissantes qui confèrent toujours à son chanteur une identité inimitable. Même sur Hadsel (2023), enregistré au cœur d’une île norvégienne avec un orgue d’église pour unique décor, on reconnaissait immédiatement son timbre et sa grammaire mélodique. Mais on ne peut que saluer la forme à laquelle il nous convie aujourd’hui. A Study of Losses révèle certain des plus beaux moments de songwriting de l'artiste depuis longtemps. Les mélodies coulent avec la même évidence que sur Lon Gisland ou Gulag Orkestar, loin d’une simple remise en route nostalgique. Ici, Villa Sacchetti et Tuanaki Atoll ne sont pas de vieilles reliques recyclées, mais de véritables pépites, tandis que Guericke’s Unicorn oscille entre douce amertume et énergie irrésistible. Dans Mare Nectaris, l’avant‑dernier morceau, la voix se pose sur un murmure électronique, répétant « You can’t be above all this » (un conseil sous forme de refrain, peut‑être adressé aux voltigeurs de la Kompani Giraff, aux aficionados de Beirut ou à lui‑même).

Au fil de l’album, surgit l’écho de son attrait pour la musique ancienne: clavecin, chœurs, quatuor à cordes, autant d’ingrédients qui donnent à ces visions de perte une profondeur renaissance. Les compositions électroniques, plus ciselées que jamais, semblent aussi emprunter à la démesure romantique de 69 Love Songs des Magnetic Fields, l’un de ses albums fétiches.




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